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Maïa, sage femme
25 septembre 2016

foutues hormones !

Je sais pas vous, mais il y a une phrase qui a le don de me faire grimper au plafond (bon en fait il y en a plusieurs, mais celle-ci est parmi les best of...). Je ne compte pas le nombre de fois où j'ai pu entendre, parce que j'étais énervée/fatiguée/mauvaise journée, et que j'ai réagi au quart de tour à une situation, la fameuse phrase :"Tu as tes règles ?" Comme si le fait que j'ai mes règles annule tout effet irritant des évènements/situations, et explique de manière unique la réaction qui a provoqué la question. Comme si, pendant les règles, nous, les femmes, devenons des êtres uniquement guidées par les hormones, et donc hors d'atteinte de toute rationalité.

L'équivalent pendant la grossesse est "Ce sont les hormones." Si une femme réagit d'une manière inhabituelle, tout s'explique ! Son cerveau a été déconnecté et la relève a été prise par les hormones...

Et j'avoue que ce genre de situation me donne envie de réagir de manière un peu plus encline encore à conforter mon interlocuteur dans sa bêtise réflexion. Ca me provoque simplement une petite poussée d'agressivité. Tout comme provoque une poussée d'agressivité la phrase "vous n'avez pas mal, c'est dans votre tête.". Parce que pour moi, c'est très exactement la même chose ! La douleur est la conséquence d'un évènement. Parmi les composantes de la douleur, il y a le psychisme. Mais ça ne réduit pas la douleur à quelque chose d'uniquement psychique, ça n'est pas quelque chose d'imaginaire ! Donc quand une femme qui a ses règles, ou qui attend un enfant, agit de manière inhabituelle, elle réagit à un évènement. Ca n'est pas imaginaire !!!!

En préparation à l'accouchement, je propose une séance avec les conjoints, sans les mamans. L'idée au départ était de leur laisser un espace rien que pour eux, pour pouvoir exprimer ce qu'ils voulaient et se focaliser sur leur rôle, leur place... Bref, sur eux. Et avec le temps, face à certaines questions, j'ai commencé à me pencher sur les changements d'attitudes des femmes attendant un enfant, et des femmes qui viennent d'avoir un enfant. Pourquoi sont elles différentes ? Et comment sortir de cette idée, les hormones... Et comment faire comprendre aux conjoints que leur femme n'est pas cette espèce d'énigme guidée par cette force obscure ?

Je prends beaucoup comme modèle le monde animal, parce qu'à mon sens il n'y a pas de moment plus commun entre tous les mammifères que cette période de gestation, de mise au monde et d'accueil du petit. Et j'ai réalisé qu'on trouvait normal que la lionne montre des dents quand on s'approche de son petit, on ne dit pas que ce sont "ses hormones" ! On dit qu'elle protège. Alors pourquoi quand la femme montre des dents (concrètement, cela se traduit plutôt par une capacité à s'énerver plus rapidement), on ne comprend pas ?

Les neurosciences vont dans mon sens (non, je ne prend pas la grosse tête ! J'aime juste bien qu'on aille dans mon sens...). Il semblerait que la grossesse stimule le cerveau : les femmes enceintes identifient mieux les émotions négatives sur le visage des autres (peur, colère, dégoût). Elles sont aussi moins sensibles au stress, ce qui pourrait avoir un effet protecteur, pour elle et pour le fœtus, contre ses effets délétères. Et contrairement à ce que voudraient sous entendre certains, l'ocytocine, hormone majeure de l'accouchement et l'allaitement, qualifiée parfois d'"hormone de l'amour" entraine une meilleure régulation émotionnelle. Ainsi, "la grossesse, l’allaitement et les interactions avec l’enfant stimulent la plasticité cérébrale", c’est-à-dire la multiplication des interconnexions entre les neurones afin de faire apparaître ou d’augmenter des compétences. Certains biologistes suggèrent même que cette stimulation cérébrale a joué un rôle dans l’évolution du cerveau des mammifères. Les modifications de l’encéphale pendant la grossesse et l’allaitement maternel, "peuvent persister toute la vie et préparent les mères à la myriade de défis qu’elles devront affronter pour prendre soin d’un petit être vulnérable".

Parce que c'est bien de ça dont il est question ! La protection d'un petit être vulnérable ! Tout, chez une femme qui attend et qui accueille un enfant tourne autour de ça. Il s'agit de quelque chose d'aussi primitif que le survie de l'espèce... Ca n'est pas de "l'instinct maternel" (si tant est que cela existe), c'est de l'instinct animal !

Récapitulons : votre femme, enceinte, elle qui est d'habitude si organisée, oublie un nombre incroyable de choses... Comment le contraire serait possible ? Elle est focalisée (qu'elle le veuille ou non, et qu'elle s'en rende compte ou pas) sur le job monumental qu'elle est en train de faire à ce moment précis : permettre à un petit de grandir de la meilleure manière possible. Elle mange différemment ? N'exprime pas les mêmes besoins que d'habitude ? Son corps et ses besoins sont différents et elle est plus sensible à cela aussi.

Votre femme, jeune maman, s'est senti agressée par la phrase anodine de la voisine qui racontait comment elle s'était occupée de son propre petit ? Cela peut être ressenti comme étant une remise en question de la manière dont elle protège son enfant. Cela peut être vécu comme une agression. Et comme une lionne face à une agression, elle montre des dents.

De quoi a besoin votre femme à ce moment là ? Votre job à vous, les conjoints, c'est d'assurer la sécurité émotionnelle et physique de votre femme. Alors je dis en prépa "Ne discutez pas, à ce moment là, elles ont forcément raison." Pas pour avoir une paix factice ! Mais parce qu'elles ont besoin du soutien inconditionnel de leur conjoint. Elles ont besoin de se sentir soutenues, même quand elles ne sont pas comprises. Parce qu'une lionne qui se sent en danger montre encore plus facilement les dents, une maman qui se sent en insécurité émotionnelle va réagir encore plus fort. C'est de l'instinct. 

Safari-Afrique-du-Sud-lionne-et-petit-4

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a jamais moyen de discuter ! Et de modérer ! Qu'il faut juste subir une lionne à la maison ! Non ! Bien sur ! Il s'agit simplement de choisir les moments où la discussion est possible. 

Je dis souvent à mes patientes que les premières semaines avec notre petit ne sont pas vraiment un moment où la vie sociale doit être importante. Même si les gens ont envie de célébrer la bonne nouvelle. Il y a tant à faire à ce moment là qui nécessite du calme... Découvrir ce petit inconnu dont on a la charge, trouver sa place en tant que parent, trouver l'équilibre de la nouvelle petite famille, savoir qui on est en tant qu'individu, couple... Beaucoup de challenges ! Et s'il y a du monde souvent, qui perturbe ce cheminement, c'est plus compliqué ! Ce sont d'autant plus de potentielles menaces pour une jeune maman. Cela ne veut pas dire s'isoler non plus ! Au contraire ! Cela veut dire s'entourer de personnes permettant de contribuer à cette sécurité émotionnelle et physique. Des gens aidants et bienveillants, respectueux des limites des jeunes parents (même s'ils ne les comprennent pas). 

La maternité et la parentalité sont bien plus que de simples évènements physiques. Cela parait évident en théorie mais c'est malheureusement dans les faits souvent réduit à cela. A notre époque, tout doit s'expliquer, on doit avoir des réponses pour tout. C'est bien embêtant parce que je crois que nous ne connaissons qu'une infime partie de notre monde (j'inclue dans ce mot notre planète et tous ses habitants). Et on a une facheuse tendance à nier ce que nous n'expliquons pas ou ne comprenons pas, ou à le réduire à quelque chose que nous pouvons expliquer, même si en réfléchissant bien, on se doute que c'est "plus" que ça. 

Alors pourquoi ne pas simplement accepter les attitudes différentes, même si elles nous paraissent parfois bizarres ou extravagantes ? Pourquoi les nier en les réduisant à un simple "ce sont les hormones" ? Ne vaut il mieux pas simplement les entendre, les accepter et ne pas les juger ? Les prendre en compte comme aussi importantes que n'importe quelle autre manifestation et modifier notre comportement pour écouter/rassurer/encourager ? Essayez, vous verrez, ça marche !!!

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Maïa, sage femme
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