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Maïa, sage femme
17 janvier 2017

de la jeune qui était vieille

Ce matin, je vois en consultation une patiente dont je suis la grossesse. Elle est au début du neuvième mois. La consultation faisait suite à un évènement pour lequelle elle avait besoin d'un contrôle. Elle était donc imprévue car en général, à ce terme, j'ai passé le relai à l'hôpital du coin. Quand je suis une patiente, je l'envoie faire une consultation d'ouverture de dossier à l'hôpital en fin de huitième mois idéalement.

Elle y avait été la veille. Elle y fut reçue par une chef de clinique (première interrogation : pourquoi une chef de clinique fait une consultation d'une grossesse tout ce qu'il y a de plus physiologique alors que lorsque je découvre une pathologie en cours de grossesse nécessitant un avis d'un spécialiste, je suis obligée de passer par des canaux peu conventionnels pour obtenir un RDV dans un temps raisonnable ?)

Ma patiente lui parle donc de son désir de ne pas prendre de péridurale et devant le sourire narquois de son interlocutrice, elle se sent obligée d'expliquer qu'étant son premier accouchement, et ne sachant donc pas ce qu'elle va vivre, elle ne se ferme pas la porte de la péridurale mais que simplement, elle n'envisage pas de prime abord un recours absolu à la péridurale. Beau projet, non ? Enfin à mon sens, il est beau son projet. Non pas parce qu'elle part plutôt dans telle ou telle direction mais parce que c'est le sien, qu'elle y a réfléchi, qu'elle se donne aussi la possibilité de s'adapter à ce qu'elle vivra. Et j'avoue que le sourire narquois a un peu crispé le mien... Mais la suite l'a définitivement effacé. Quelle serait la juste réaction à ce genre de projet ? A mon sens, cela serait a minima de ne pas le plomber... Au mieux d'encourager le choix de la patiente mais juste a minima de ne pas le plomber... Quelle a été la réaction de cette toute jeune chef de clinique ? D'expliquer qu'à son sens c'était peu raisonnable parce que et d'une elle voit pas l'intérêt de souffrir (grande originalité ! Témoignage d'une absence totale d'empathie...) et de deux que ça pouvait être dangereux parce que s'il y a une urgence, il faudrait faire une anesthésie générale, ce qui est dangereux pour le bébé...

Bon alors là... Comment dire... Les noms d'ovipèdes ont volés (ah ah !) dans ma tête évidemment... 

Alors bon, je veux bien qu'en tant qu'obstétricien, son job est de prendre en charge les accouchements qui dérapent et que donc ça oriente son regard. Mais déjà, il me semblerait bon de reconnaitre qu'on a une vision orientée des choses quand on est spécialiste (c'est le pur bon sens...). Mais ensuite, il serait encore meilleur de ne pas dire d'énormités !! Parce que l'urgence si urgente qu'on n'a pas le temps de faire une rachianesthésie, qu'on doive faire une anesthésie générale, est dieu merci, très peu fréquente !!! Et donc présenter l'anesthésie de confort qu'est la péridurale comme une nécessité médicale en dehors de tout facteur de risque particulier, on peut difficilement dire que c'est très honnète intellectuellement.

Mais bon, manifestement, la dame n'était pas à court de malhonneteté intellectuelle. Ma patiente lui a ensuite exprimé son souhait de ne pas avoir d'épisiotomie. Et là, le bon docteur de lui dire qu'une épisiotomie est meilleure pour le périnée qu'une déchirure "qui peut vous déchirer l'anus vous savez ?". C'est pas comme si on manquait d'étude sur l'inefficacité de l'épisiotomie pour la prévention de ces déchirures graves et sur le fait que toutes les autres sont préférables à une épisiotomie... Bref, ce docteur était jeune mais avait un langage de vieille...

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Mais rendons à César ce qui appartient à César : elle ne l'a pas examiné, c'était inutile mais malgré tout, je parie que beaucoup l'aurait fait. Cela lui enlève probablement 10 ans à son siècle d'âge médical !

Petit aparté : cette patiente, qui est donc en fin de grossesse, a pour le moment eu à ne vivre que 2 touchers vaginaux sur toute la durée de sa grossesse, un aux urgence qu'elle a consulté pour contractions il y a de ça quelques temps, et un aujourd'hui pour sa petite urgence avec moi. Aucun autre toucher était nécessaire ! Je répète : aucun autre toucher était nécessaire !

Mais le pire est que je pense que ce n'est pas fait dans la volonté de tromper les patientes ! Je pense juste que c'est quelqu'un qui est en quelque sorte la victime de l'enseignement de la médecine telle que c'est fait en France. Apprend par coeur, recrache bêtement et surtout oui surtout ne réfléchis pas !!!

Concernant tout cela, il y a un autre point, au delà de la mésinformation, qui m'irrite : toujours cette foutue histoire de consentement. Ben oui, face à ce souhait exprimé par la patiente, il ne devrait rien y avoir d'autre à dire que "c'est noté, madame". "Pas de péri ? OK, on va faire ce que l'on peut pour vous aider dans ce choix." "Pas d'épisio ? C'est votre corps, je respecte cela." Peu importe qu'elle croie que c'est idiot/impossible/dangereux/pas ce qu'elle ferait... Son opinion personnelle est bien cela, personnelle. Or là, elle est dans un cadre professionnel donc elle se doit de rester professionnelle.

Ca n'est pas une posture facile de se distancier de notre avis personnel, ça demande en permance un travail, une vigilance. Peut être suis-je dure avec ce jeune médecin. Le fait de réaliser que ce qu'on a appris n'est ni vrai dans tous les cas, ni même parfois vrai tout court, que les patients sont des humains et que leur avis/sentiments sont tout aussi importants, et même plus que les nôtres, qu'il n'y a pas de mise en danger pour nous à respecter les patients et leurs choix, que ça ne fait pas de nous de moins bons soigants (au contraire même) et que ça fait de nous de meilleurs humains (donc de meilleurs soignants, CQFD !). Bref, tout ça n'étant pas seulement pas enseigné mais plutôt souvent la cause de soucis au cours des études, ça demande parfois du temps... J'ai aimé la réaction de ma patiente qui lui a souri en lui répondant "de toute manière, ça sera mon choix au moment voulu." En douceur, mais ferme. Peut être que ça aidera ce jeune médecin a prendre du recul, qui sait ?

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Commentaires
J
Ce type de témoignage est incroyable. Il faut laisser aux femmes la possibilité d'être actrices de leur accouchement et non de simples spectatrices. Il est évident qu'un accouchement ne peut pas être prévu à 100%, mais les futures mamans doivent être respectées.
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M
Une réaction un peu épidermique à votre fin de billet : non, parti comme c'est parti, ça ne sera pas "son choix", elle sera découpée sans même en être informé.. un chef de clinique donne le la à son service, il y a donc de grandes chances que cela se passe selon ce que cette jeune obstetriecienne décide.<br /> <br /> On en est là et rien ne bouge : les patientes sont quelquefois mieux informées que les spécialistes et ne peuvent rien décider de ce qui concerne leurs corps, en toute connaissance de cause.<br /> <br /> Alors la principale question nesr pas de savoir si son sourire fera réfléchir la chef de clinique ( sérieux, vous y croyez ?), mais plutôt que faire lorsqu'un médecin ne respecte pas la loi du libre consentement et ne met pas ses connaissances à jour ?
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Maïa, sage femme
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