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Maïa, sage femme
22 décembre 2016

Appel d'une sage-femme...

A la suite de mon billet sur la douleur et la souffrance, j'ai eu de nombreuses pistes de réflexion quant à de nouveaux billets. Il faut dire que le thème est vaste. Et je vais vous parler de mon expérience en tant que sage-femme. La douleur et la souffrance vue par la sage-femme (enfin, juste par moi...).

Je vais d'abord rapidement vous expliquer mon parcours. Mes études ont été une réelle souffrance. La violence du monde médical, cette ambiance de maltraitance envers les étudiants (et en fait envers toute personne hiérarchiquement inférieure) et envers les patients, le rythme soutenu, l'absence de possibilité de réflexion ou de remise en question... Bref... J'ai heureusement rencontré des personnes tellement merveilleuses qu'elles m'ont permis de continuer malgré tout et d'être diplômée. Mais j'avais pris la décision de me réorienter vers le théâtre une fois mon calvaire terminé. J'ai donc bossé de nuit pour pouvoir payer mon toit et de jour, je prenais des cours pour être comédienne. Et avec le temps, mon amour des patientes me remplissait de plus en plus, et le monde du théâtre me paraissait de plus en plus vain (être témoin de l'humanité la plus pure la nuit, et des combats de coqs le jour, comment dire...). Mais malgré tout, je n'étais pas à l'aise dans ma pratique. 

Je travaillais en milieu hospitalier, une petite clinique où j'avais réussi à faire mon trou à ma sauce (à force de coups de gueule et de remise au clair sur les jobs de chacun, et après avoir pris quelques dossiers sur la tête, véridique...). On me laissait bosser comme je le souhaitais (la plupart du temps), le fait de travailler de nuit aidait grandement. On me faisait confiance et j'ai pu apprendre, garde après garde, qui j'étais en tant que sage femme. Les patientes ont été de merveilleux guides dans mon chemin personnel. Ce sont elles qui m'ont poussé à aller plus loin dans ma démarche, à approfondir mes réflexions, à tenter des choses auquelles je ne pensais pas.

J'ai toujours aimé les accouchements sans péridurale. Je n'ai pas peur du bruit et de la douleur. En fait même, je les aime bien... 

Non, je ne suis ni masochiste, ni cruelle ! Bien au contraire ! Mais le bruit et la douleur sont pour moi une expression de notre humanité, de ce qu'on a au fond de nous. Et c'est ça qui m'intéresse quand je rencontre une personne. Je me fous de l'apparence, je veux connaitre ce qu'il y a derrière. Alors, les moments où les femmes lâchent prise, parce qu'elles vivent intensément l'instant, sont des pépites pour moi ! Et me permettent également de les aider au mieux, plus facilement. 

Une femme est seule face à sa douleur. Personne ne peut partager ce fardeau. Une femme est seule face à l'immense tâche qu'est l'accouchement, personne ne peut le faire à sa place. La seule chose que l'entourage d'une femme en travail (et je m'inclue donc dans cet entourage) puisse faire est de créer un contexte permettant à la jeune maman de vivre cet évènement plus "sereinement". Dès mes études, j'ai réalisé que ma place était celle au coin de la pièce : la présence discrète qui sait être là quand il faut, et qui s'adapte aux besoin de chaque patiente. Et c'est là que le bas blesse...

J'avais choisi pour travailler une petite structure pour avoir le temps de "ne rien faire" au coin de la salle. Avoir le temps de parler ou ne pas parler, serrer une main ou juste respirer, rassurer et expliquer ce qui était en train de se passer... Bref, d'accompagner... Tenter de faire en sorte que cette naissance ne soit pas souffrance. 

Cela demande des ressources émotives très importantes. C'est fatiguant de recevoir autant d'émotions, de peurs, d'angoisses... De les accueillir et de tenter de les apaiser. Souvent, on me demandait si mon métier n'était pas trop dur, en faisant référence aux mauvaises nouvelles, aux choses qui tournent mal... Mais j'avais envie de répondre que tout accouchement, même le plus simple et heureux est épuisant ! Il me remplissait et me vidait en même temps ! Mais le sentiment d'avoir fait un bon boulot faisait largement pencher la balance en faveur.

Et puis les choses ont commencé à changer. Les directeurs d'établissement se sont enchainés. Je me souviens particulièrement d'un petit blanc bec, fraichement sorti d'école de commerce, parachuté là par filon paternel, qui essayait de se la jouer cool et proche (notre première rencontre s'est fait dans un bar près de chez moi...), mais qui n'avait aucune idée de ce que sont des soignants ni de ce qui les motive. Grace à lui, j'ai appris à ne pas me laisser impressionner par des titres et je me suis permise de lui dire le fond de ma pensée... Mais globalement, leurs exigences, leurs demandes ont pris de plus en plus de notre temps avec les patientes, ont également dégradé l'ambiance... Le travail est devenu plus lourd. Et il devenait de plus en plus difficile d'être émotionellement disponible pour les femmes que j'accompagnais. Il m'arrivait de quitter ma garde frustrée car énervée envers une patiente qui m'avait soulée.

Mais qu'est ce qu'une patiente qui me soule ? Les casses-bonbon pénibles chroniques étant rares (mais existent malgré tout), c'est juste une femme qui me demande un peu plus d'attention qu'une autre ! Attention que je n'ai pas le temps ou l'énergie de donner... C'est pour ça qu'elle me soule. Parce que je suis indisponible pour elle, et que donc je n'arrive pas à l'apaiser ou à l'aider dans sa souffrance. Et je dis bien souffrance, pas douleur ! C'est justement une femme qui souffre, en ayant mal ou pas. 

Et la souffrance, c'est contagieux ! Je souffrais de leur souffrance, je m'en voulais de ne pas pouvoir faire mieux, je me rendais compte que parfois, en n'étant peut être pas maltraitante, je n'étais en tout cas pas bientraitante. Et elles souffraient de ma souffrance ! Un vrai cercle vicieux... Il fallait que je change quelque chose et vite car mes patientes et moi-même risquions de payer un lourd prix.

C'est pour cela que je me suis installé en libéral, pour pouvoir avoir le temps avec mes patientes. Pour pouvoir bosser à ma manière et à mon rythme. On me demande régulièrement si l'hôpital ne me manque pas. L'hôpital non. Les accouchements oui ! Ce moment magique et intense, cette première rencontre où je me sens comme une petite souris qui est le témoin d'un moment auquel elle n'est pas vraiment invitée, comme si je regardais par le trou de la serrure... Mais il faut savoir être là où on est le plus utile. Et le libéral, c'est mieux tant pour moi que pour mes patientes. 

Et j'admire mes collègues qui travaillent toujours en structures, qui luttent encore pour la plupart pour conserver l'humanité de ces moments là. Je leur rend hommage d'ailleurs. 

Dans ma préparation à l'accouchement, j'essaye de faire comprendre aux patientes qu'il est important pour elles d'investir leur accouchement, de ne pas attendre d'être accouchée. Le bénéfice est, pour moi, double : pour la femme et pour la sage-femme. Et cela évite de nombreuses souffrances de toute part ! Et les deux sont à mon sens aussi importants. L'accouchement se fait en équipe. Je m'explique : la femme accouche seule mais accompagnée, et ces deux parts permettent un accouchement satisfaisant. On a parlé cet été des tragédies chez les infirmières. Mais ce sont tous les soignants qui sont en souffrance, tous ceux qui travaillent en hôpital ou clinique ! Et ce ne sont malheureusement pas quelques suicides qui changeront grand chose à la logique comptable de nos dirigeants... Et c'est là où, nous, soignants, avons besoin de vous, pour nous aider à pouvoir vous accompagner.

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Mes patientes sont mon plus gros moteur d'évolution, mais j'attends encore plus d'elles. Elle me portent au moins autant que je les porte. Elles me font souffrir aussi, souvent malgré elles. Mais c'est le lot de toute relation humaine sincère. Ma souffrance de sage-femme est liée au fait que je ne peux pas travailler comme je le souhaite (c'est mieux en libéral mais l'avenir est sombre...), elle est également liée au fait que, si les patientes reconnaissent notre utilité dans leur histoire, la plupart du temps, elles n'ont pas conscience que nous avons besoin d'être protégées par elles, que nous sommes fortes mais fragiles, comme elles pendant le travail. Et qu'arrive un moment, c'est à elles de nous protéger, pour nous permettre de continuer à les aider quand le besoin est là. 

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