Baby boooooooooooom...
Une dure période commence pour nous, sages-femmes... Une certaine émission recommence, avec des caméras 24/7 dans un maternité, montrant ce qu'elle veut bien montrer au fil des rush et autres morceaux choisis...
J'avais regardé la première année et j'avais franchement trouvé ça comme un reflet assez fidèle de mon travail hospitalier (que je venais de quitter), sans trop de pathos ni d'extraordinaire. Bref, la beauté de l'ordinaire, et les défauts de l'ordinaire... Puis le temps a passé, l'émission a continué, il a bien fallu sortir de l'ordinaire pour que les gens continuent à regarder et là, ça m'a énérvé ! Et puis, en arrêtant de travailler à l'hôpital, j'ai aussi pu prendre du recul par rapport au travail qu'on y fait. Même si j'ai toujours été en réflexion là dessus, le fait de ne plus travailler en hôpital permet de sortir des schémas de pensées institutionnels et d'être encore plus objective par rapport à notre pratique.
Et c'est à ce moment là que cette émission m'est devenue insupportable (et finalement même ces premiers épisodes qui ne m'avaient pas vraiment choqué au départ...)!
Et c'est à ce moment là que j'ai aussi été obligée de la regarder !!!
A force d'entendre en séance de préparation à l'accouchement : "J'ai vu dans biiiiiip que ça se passait comme ci ou comme ça."... Il fallait donc me torturer regarder cette bouse sentimentaliste émission pour pouvoir consciencieusement déconstruire les idées reçues et autres faussetées que cela enfouit bien profondément dans la tête des patientes et de leurs maris (qui sont parfois un peu obligés de regarder, comme si ça risquait de leur faire du bien...).
Peut être, comme certaines amies, ne comprenez vous pas mon rejet de ce que certains apprécient tant. Laissez moi vous expliquer plus dans le détail ma pensée (que vous connaissez probablement un peu si vous avez lu quelques autres articles de ce blog) :
Les femmes sont mes héroïnes ! Cette évidence m'est apparue plus spécifiquement pendant mes études (mais bon, étant en études de sage-femme, je pense que ça date d'avant), et quand je pense à cela, me revient en mémoire l'histoire de Marie (et pour que je me souvienne et du nom et de l'histoire, et j'ai même gardé son visage en tête ! Autant vous dire que Marie m'a révélé à moi même, pour ainsi dire !). J'étais en troisième année d'école. Marie voulait à tout prix accoucher sans péridurale. C'était son premier bébé, elle devait être déclenchée pour une raison que je n'ai pas gardée en tête. Un déclenchement est physiquement plus dur qu'un travail spontané. Et son choix d'absence de péri, déjà à l'époque peu compris pour un travail naturel, était définitivement une énigme pour un déclenchement. Et manque de bol, elle a payé son choix... Ils n'ont pas été tendres avec elle. Ils ne l'ont pas aidé à y arriver. Elle a du se débrouiller toute seule, et elle l'a fait !!! Je n'étais pas l'étudiante en charge de l'accompagner, mais comme je connaissais un peu son mari, et que j'étais admirative de ce choix et de cette détermination, je venais de temps en temps l'encourager et la féliciter. Je crois que j'étais la seule. Même mon amie qui l'accompagnait (et qui est une personne merveilleuse) jugeait son choix. Mais elle a tenu ! Elle a suivi son chemin, en dépit de l'accompagnement négatif qu'elle recevait. Et depuis ce jour, mon admiration pour les femmes et leurs compétences n'a fait que grandir ! Et ma condamnation des conséquences négatives des idées reçues et des gestes médicaux non justifiés aussi...
Je ne plaide pas pour que le travail se passe de telle ou telle manière précisément. Je ne plaide pas pour une absence de médicalisation. Je ne plaide pas pour un 0 péridurale. Je plaide pour permettre à la femme de trouver sa propre place dans ces moments si spéciaux et en même temps ordinaires que sont la grossesse et l'accouchement (et la suite aussi mais ce n'est pas ici le sujet...). Pour qu'elles puissent savoir ce dont elles ont réellement besoin, il convient de leur expliquer les choses de manière objective, mais également de leur permettre de se découvrir, découvrir leurs forces, comme Marie a pu le faire pour moi ! Et qu'ensuite, elles aient la possibilité de faire leur propre choix, choix résultant de leur histoire personnelle, pas de la crainte qu'on a pu leur mettre en tête. Nous (les accompagnateurs des femmes) sommes là pour leur donner cette possibilité là jusqu'au bout.
Et pourtant, ça n'est pas vraiment ce que nous faisons... Je parle ici de manière générale, car de manière individuelle, un nombre certain de professionnels ont cette démarche. Mais dans sa globalité, le monde médical est dur pour les patients. Nous avons besoin de "faire". Quitte à mettre le doigt dans un rouage qui fonctionne et de faire dérailler le processus, nous rendant alors indispensables pour rattraper la situation que nous avons nous même créé.
Et cette émission transmet ce message de "sans nous, c'est fortement risqué"... Le pire, c'est que ce message est si bien ancré dans notre subconscient qu'il n'est la plupart du temps même pas senti.
J'essayais de trouver une analogie pour expliquer simplement mon propos. Elle est imparfaite mais permet malgré tout de rendre les choses plus claires : Imaginons que vous emmenez votre voiture en révision chez votre garagiste. Elle tourne globalement bien. C'est juste une révision de routine. Votre garagiste fait très exactement ce qu'il a l'habitude de faire, un check up. Il met ce qu'il a l'habitude de mettre comme "produits qui doivent améliorer les compétences de votre voiture". Et vous dit, tout va bien ! A l'année prochaine.
Et puis quelques semaines plus tard, votre voiture commence à déconner. Vous la ramenez chez le garagiste et là il diagnostique un problème. Il se trouve que ce problème est créé par les "produits qui améliorent les compétences de votre voiture" mais le garagiste ne fait pas le lien parce que "on a toujours fait comme ça" donc pourquoi chercher à faire des liens. Et il répare la panne. Et vous repartez avec une voiture qui roule, en remerciant le garagiste de vous avoir évité de devoir en racheter une autre.
Voilà un peu le problème de la médecine se mêlant de la physiologie. Ma maman me disait quand j'étais petite "le mieux est l'ennemi du bien". Rien est plus vrai dans l'accompagnement d'une naissance ! Pourquoi chercher à améliorer ce qui fonctionne ? Pourquoi chercher à accélérer un travail qui avance ? Pourquoi prendre une place qui n'est pas la notre ? Pourquoi ne pas simplement accompagner une femme dans sa mise au monde d'elle-même ? Pourquoi ne pas accepter d'être un second rôle ?
Voilà pourquoi cette émission m'irrite tant ! Parce qu'elle enfonce le clou quant au fait que le premier rôle est la médecine et le second est la femme qui enfante. Parce que cette inversion des rôle a des conséquences dramatiques tant d'un point de vue physique, médical que psychologique. Parce que c'est également jouer avec les peurs naturelles universelles que sont la peur de la mort, peur de la douleur... Au lieu de les accompagner pour les dompter...
Bref, parce qu'elle empêche les femmes d'être les héroïnes que je sais pertinemment qu'elles sont !!!!